Quelle est votre adresse ? Serez-vous au rendez-vous ? Bienvenue dans une société « topologique », un monde de « proximités »

Résumé : La société des lieux succède à la société des distances. Cette évolution est le résultat de l’externalisation de nos fonctions cognitives. Nous avons jeté les bases en numérisant la société, mais il est maintenant temps de nous approprier cette puissance et de l’exploiter, notamment grâce à l’intelligence artificielle. Cependant, cela nécessite une modification radicale de nos habitudes et pratiques héritées des trois premières révolutions industrielles.

Nous vivons une transformation profonde. Le consommateur a déjà intégré cette révolution et en attend beaucoup, mais les professionnels ont encore du mal à s’adapter. Pourtant, cela représente une rupture incroyable, mais surtout une formidable opportunité pour eux.

Quelle est votre adresse ?

Il y a quelques décennies, lorsque l’on demandait une adresse, on donnait généralement une adresse physique ou postale. Aujourd’hui, les réponses peuvent être un email personnel, un email professionnel, un pseudonyme sur Facebook, un numéro de téléphone pour WhatsApp, ou bien sûr une adresse physique professionnelle ou personnelle, voire l’adresse d’un point de retrait, et j’en oublie sûrement beaucoup. 

Il y a quelques années, notre existence était définie par notre adresse physique. La seule proximité que nous pouvions avoir était liée à notre lieu de résidence. Aujourd’hui, nous avons le choix. Ce choix est lié au type de proximité que nous souhaitons avoir avec notre interlocuteur. Nous ne nous situons plus par rapport à une adresse physique, mais par rapport à un lieu d’échange, qu’il soit physique ou numérique. Nous pouvons constater que pour les lieux numériques, la distance en temps est souvent nulle. Je suis plus proche d’un autre passionné d’escalade sur un forum dédié que de mon voisin, même s’il pratique peut-être également l’escalade. La notion de distance physique perd de son importance, alors que les trois premières révolutions industrielles n’ont cessé de réduire cette distance en temps. Cette mutation est fondamentale et impacte toute notre économie : bienvenue dans un monde de lieux, adieu le monde des distances. 

Nous avons basculé d’une société « euclidienne » à une société « topologique » du fait du développement de nos capacités cognitives porté par les technologies.

Une très belle présentation de cette mutation a été partagée par Michel Serres, USI 2013 Humain et révolution numérique – Michel Serres à l’USI

En d’autres termes, nous avons passé beaucoup de temps et d’efforts à réduire les distances physiques et le temps associé, car nous étions dans un monde principalement basé sur la mesure, un monde « de la règle et du compas » pour reprendre une expression de la géométrie euclidienne. Aujourd’hui, grâce au numérique, lorsque nous partageons un point d’intérêt, les distances disparaissent. La société topologique, qui repose sur les lieux, fait disparaître les distances et nous rapproche grâce au numérique. Nous passons d’un monde uniquement basé sur la mesure à un monde de partage des points d’intérêt principalement sur le digital, mais pas exclusivement.

Illustration : se déplacer rapidement pour une réunion de quelques heures à l’autre bout de la France, aller au magasin pour acheter le disque de notre star préférée, aller au magasin car nous ne savions pas où et quand nous faire livrer... La plupart de ces situations ont disparu.

Pendant trois révolutions industrielles, nous avons cherché à optimiser les flux physiques de manière linéaire. La valeur créée grâce à l’amplification, par l’énergie, de l’externalisation de nos fonctions physiques a permis de construire les trois premières révolutions industrielles. Durant cette période, nous avons constamment optimisé les plans et les processus pour avoir un flux physique toujours plus rapide, de la matière première à la consommation. Pour gagner en efficacité, nous avons uniformisé le consommateur, le rendant anonyme, en créant une séparation entre son lieu de vie et de travail, et en le formatant, ainsi que toute la société, pour maximiser les flux physiques. Ce sujet a été largement développé dans un de mes autres articles. Aujourd’hui, un monde fragmenté émerge, notamment parce que les distances ne sont plus seulement physiques, mais aussi numériques, donc nulles. Ce qui nous rapproche, c’est le partage d’un point commun, d’un lieu. La quatrième révolution industrielle marque donc une rupture avec les trois premières, car elle repose sur la fragmentation et les proximités dans un monde physique et numérique.

Les lieux représentent des proximités.

Illustrations : Nous sommes plus proche de nos enfants même au bout du monde par WhatsApp que par le passé quand ils restaient dans le village car nous partageons un même lieu. Nous sommes plus proche du stock de pull rouge que nous visons dans notre magasin favori que le vendeur qui y travaille, car nous y sommes connectés 24/7 par l’app e-commerce.

La mise en cohérence du physique et du numérique a pris du temps, mais aujourd’hui une grande partie des consommateurs l’a intégrée et la plébiscite. Ils ont basculé dans un monde topologique, où le physique et le numérique ont fusionné. Quelle est votre adresse ? 

Il est très intéressant de noter que cette réémergence d’une société topologique fait réapparaître des modèles de l’ère préindustrielle et nous fait redécouvrir la proximité physique. Des plateformes numériques telles que BlaBlaCar, Leboncoin, Facebook, etc., sont autant de lieux de proximité qui ont permis la rencontre de voisins physiques et optimisé les déplacements. Les jeux vidéo, les concerts, etc., n’ont jamais attiré autant de monde. 

Dans un monde topologique, les lieux et donc les marques et collaborateurs reprennent le pouvoir sur les canaux

Face à la profusion d’offres dans un monde fragmenté, l’enjeu pour les enseignes est de devenir l’enseigne préférée du consommateur, celle avec laquelle il aura la proximité qui lui convient. Cette proximité est une combinaison de valeur (marché), de modèle économique (utilité), de qualité d’exécution (expérience) et d’accessibilité (la bonne interface, aujourd’hui un mélange de physique et de numérique). J’ai déjà détaillé ces différents éléments dans un autre article, mais ici je vais m’arrêter sur la notion d’accessibilité. Le consommateur doit pouvoir choisir le chemin qui lui convient, son mode d’accès. Ce sera probablement un mélange de physique, avec une boutique près de chez lui et un vendeur avec qui il a des affinités, et de numérique, avec une liste de courses qu’il remplit au fil de la journée, par exemple.

Plus une enseigne développera des proximités, des lieux, plus elle renforcera son agilité dans les chaînes de valeur multiples, favorisant ainsi l’économie de flux. Il est important de souligner que chaque collaborateur peut potentiellement être un point de proximité, à la fois client et fournisseur, que ce soit lors d’un barbecue le week-end ou sur un site dédié aux passionnés de recettes.

Illustration : l'enseigne Boulanger en ligne, le magasin Boulanger Rue de Rennes à Paris ou Pierre du rayon informatique du magasin de la Croix Blanche. Ce sont trois proximités, trois lieux, qui peuvent être corrélés avec leurs écosystèmes respectifs pour en tirer une valeur partagée.

Une question s’adresse aux enseignes et aux marques : disposez-vous d’outils permettant d’identifier les proximités et les lieux choisis par vos clients ou fournisseurs, de les respecter et éventuellement d’en tirer profit ? Chaque client peut avoir autant d’adresses que d’attentes spécifiques…   

Amis de la vente de détail : quelles sont vos adresses ?

L’analyse du secteur de la vente au détail et de la consommation, en mettant l’accent sur les lieux, est en phase avec la diversité et la multiplicité des nouvelles tendances visant à valoriser les produits locaux, à promouvoir l’économie circulaire (seconde main, consigne) et à encourager l’entraide entre voisins, par exemple. Accorder une importance aux lieux dans notre environnement économique représente une formidable opportunité de développer une planète plus durable, en créant une atmosphère de village d’antan, mais avec une dimension multidimensionnelle.

Le metaverse n’est pas virtuel

Nous n’en avons pas encore pris toute la mesure, car notre société s’est principalement développée en échangeant des biens physiques selon des modèles linéaires.

Le Metaverse est la visualisation au sens propre comme au sens figuré de notre nouvel univers topologique où les distances tendent à être nulles quand on partage les mêmes points d’intérêts par des canaux partagés. Le metaverse n’est en rien virtuel, il rassemble des points de convergence sur différents domaines dans différents lieux. À cet égard, il représente une opportunité pour les entreprises et les écosystèmes. 

L’IA n’est ni intelligente ni artificielle, mais est un fantastique créateur de valeur dans un monde topologique.

Nous avons perdu nos proximités dans le monde des distances, car pour optimiser une distance et créer de la valeur il fallait la rendre linéaire en s’appuyant sur des plans et processus.

Depuis la troisième révolution industrielle, à partir des années 1970, nous avons encore réduit les distances physiques en informatisant les flux de produits, d’informations et de valeurs. Cependant, nous n’avons pas encore réussi à extraire la valeur des chaînes de valeur non linéaires en cours de formation. Ces chaînes de valeur non linéaires sont rendues possibles grâce aux connexions entre tous les objets et/ou personnes et à la numérisation massive du monde. De plus, ces chaînes de valeur voient leur niveau et vitesse de transformation exploser sous l’effet de l’évolution de nos sociétés vers grossièrement une plus grande fragmentation et également sous l’effet de la pression climatique.

Les IA, lorsqu’elles sont utilisées de manière appropriée, sont d’excellents outils pour extraire de la valeur des environnements de corrélations non linéaires. Il ne serait donc pas surprenant que nous obtenions enfin une véritable création de valeur grâce au numérique, ce fameux rebond de la courbe du « j » connu des économistes et observé lors des deux premières révolutions industrielles.

Illustration, avec la première révolution industrielle : 1698, invention de la machine à vapeur, 1823, première concession d'une ligne de chemin de fer en France, durant cette période le PIB ne progresse pas ou faiblement puis développement du chemin de fer. 1850, la France est maintenant bien desservie, on synchronise toutes les horloges de France pour plus d'efficacité, et nous assistons à une augmentation significative du PIB env 3%. Et pour la deuxième révolution, électricité et pétrole, de 1913 à 1950 on invente découvre, 0,7% en moyenne de croissance, puis de 1950 à 1973 on déploie, 5% en moyenne. Il s'agit d'un très rapide survol...

Conclusion

Dans un monde topologique, la combinaison de la loi de Metcalfe et de l’IA devrait enfin aboutir à une croissance significative dans un meilleur respect de notre humanité

Le numérique libère l’économie de proximité et nous plonge dans un monde topologique. Les entreprises doivent passer d’un modèle basé sur les « distances physiques » (euclidien) à un modèle basé sur les lieux (topologique). Les consommateurs, et la planète en général, ne vont pas attendre. Le potentiel de création de valeur est exponentiel et donc finalement : Quelles sont vos adresses ? »

En quelques lignes j’ai tenté de vous partager un extrait de ma réflexion sur un environnement en profonde mutation. J’ai pris de nombreux raccourcis pour tenter d’être lisible, merci pour votre compréhension. Et surtout merci pour votre attention et vos retours que j’espère nombreux. Un immense merci, partageons 😉

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