Le Véritable Défi du Retail : Au-delà des Illusions de la Révolution Numérique

En ce début d’année, nous sommes submergés de discours sur la « révolution du retail » et les “dernières innovations” et je ne parle pas de l’IA qui révolutionnera le retail. Par conséquent, je ne vous offrirai pas une énième version de cette vision. Mon objectif n’est pas de vous vendre des conseils pour une performance éphémère. Mon propos est ailleurs, dans un domaine rarement exploré, voire tabou, surtout dans notre contexte français.

Nous sommes témoins d’une surabondance de discours sur le digital – conférences, posts LinkedIn, et autres. Chaque année, en début d’année, ces messages atteignent leur apogée, promettant des révolutions et des innovations révolutionnaires. Pourtant, un regard en arrière révèle une réalité française différente, moins euphorique, et en retard comparativement au marché américain, pour beaucoup.

Apparemment, la tendance est à la mise en valeur éphémère et à la communication superficielle, axée sur des réalisations à court terme, plutôt qu’à une réflexion profonde et à long terme sur les fondements du retail. Cette superficialité est-elle due à la complexité des enjeux, à des ambitions trop grandes, ou simplement à une préférence pour une communication rapide et peu profonde, influencée par la pression des fournisseurs de technologies ?

Le marché, dans son ensemble, confond souvent innovation et précipitation. On prône la construction rapide au détriment de bases solides et durables. Il est temps de se concentrer sur le long terme, d’allier art et science dans notre approche. Je ne suis sûrement pas le seul à le penser.

La peinture des murs plutôt que la structuration des fondations ? 

Est-ce réellement notre ambition ? 🤔

Nous nous contentons souvent de superposer des tendances comme le marketing digital, le cloud, les données, maintenant l’IA… Mais cela ne fait que cacher une réalité désolante : une absence de remise en question profonde de nos modèles d’affaires, de nos équipes et de nos investissements. On tente de colmater des brèches avec des « nouveautés » qui ne sont souvent que des solutions temporaires pour répondre à l’urgence de la « transformation digitale », au lieu de construire le business de demain.

Prenez par exemple l’omnicanalité, la personnalisation, l’acquisition client – sont-elles vraiment essentielles pour la majorité des acteurs, alors que leurs systèmes opérationnels sont obsolètes depuis plus d’une décennie ? Dans la grande distribution, n’est-il pas plus crucial de maîtriser les flux de produits, les achats, et les stocks avec des technologies en phase avec la stratégie de l’entreprise, plutôt que de se concentrer principalement sur le digital client ?

Quand on est un acteur de la grande distribution, est-il plus important de maitriser son flux produit, ses achats et stocks avec les toutes dernières technologies en adéquation avec la stratégie que d’investir sur de la personnalisation digitale pour le client, par exemple ?

Il y a une urgence à traiter le long terme, le manque de maturité du marché français sur ce point comparé, par exemple, au marché US est saisissant et le fossé qui se creuse sera de plus en plus difficile à combler.

                Illustration de ce fossé sur le sujet très tendance du retail média. Nombreux sont les retailers rêveurs devant les chiffres annoncés par le marché américain. Mais voilà, il y a une réalité. En France on m’explique qu’un des principaux défis est d’aligner les campagnes sur les stocks en ligne ou en magasin. Et, quand j’échange avec mes homologues aux US, ils me présentent des tableaux de bord pour annonceur où ils peuvent notamment par magasin voire les stocks, les rayons, les flux caisses, les passages clients, le tout en temps réel, par exemple, pour pousser des coupons sur les étiquettes électroniques.  Ou des tableaux de bord pour que les magasins puissent piloter les enchères et éviter que certaines campagnes viennent cannibaliser leur stratégie locale.

Le marché français, par rapport à son homologue américain, souffre d’un manque de maturité sur ces questions. En cette nouvelle année, je me propose de partager avec vous une liste d’éléments structurels qui freinent la performance et entraînent le déclin de l’activité dans notre paysage émergent. Cette liste, issue de mes nombreuses expériences dans le secteur, est non exhaustive, mais essentielle.

A vous de scorer le potentiel de votre entreprise en comptant les non 😉

Liste de questions :

Les dirigeants sont-ils clairs et assument-ils l’utilité proposée au marché (concepteur, distributeur, commerçant ou média) ?

La Clé de la Réussite en Retail : Des dirigeants qui sont clairs dans une proposition de valeur, une utilité, facilement compréhensible.

Dans le monde du retail, une question fondamentale se pose : les dirigeants sont-ils véritablement clairs quant à la valeur qu’ils proposent au marché ? Que ce soit comme concepteur, distributeur, commerçant ou média, la clarté et l’assomption de leur rôle sont essentielles.

Considérons l’utilité – la raison pour laquelle un client choisit de visiter une enseigne. Est-ce pour l’amour des produits de la marque ? Est-ce parce qu’il sait exactement ce qu’il veut ? Cherche-t-il des conseils ou vient-il découvrir des marques et des produits inattendus ? La réponse à cette question devrait guider l’approche et l’identité de chaque enseigne.

L’alignement entre l’attente du client et ce qu’il trouve réellement est crucial. Un client doit trouver ce qu’il a été amené à croire qu’il trouverait. Si cette promesse n’est pas tenue, la déception est inévitable.

Prenons un exemple concret : si une entreprise est fondamentalement un distributeur mais se présente comme un commerçant, le décalage entre l’expérience attendue et la réalité peut engendrer de la frustration chez le client. Imaginez la déception d’un client s’attendant à une expérience personnalisée et engagée, pour finalement se retrouver face à des vendeurs focalisés sur la mise en rayon.

Cette discordance n’est pas seulement un échec en termes de service client ; elle révèle un manque de compréhension fondamentale de l’identité de l’entreprise et de la promesse faite au client. Les dirigeants doivent non seulement définir clairement leur proposition de valeur, mais aussi veiller à ce que chaque aspect de leur entreprise – de la stratégie marketing à l’interaction en magasin – soit en parfaite adéquation avec cette promesse.

L’ensemble des équipes et des clients identifient-ils l’utilité choisie par l’enseigne ?

                L’Alignement Interne et Externe : Clé de la Compréhension de la Valeur d’une Enseigne

Une interrogation indispensable se pose dans le secteur du retail : l’ensemble des équipes et des clients sont-ils en phase avec l’utilité que l’enseigne prétend offrir ? Cette question va au cœur de la stratégie et de l’identité de marque de toute entreprise.

Lorsqu’on interroge les différentes équipes d’une enseigne, leurs réponses devraient spontanément refléter l’utilité principale que l’entreprise cherche à offrir. Cette cohérence interne est cruciale pour assurer une expérience client cohérente et alignée avec la promesse de marque.

Prenons un exemple illustratif : dans le cas d’une entreprise qui se positionne principalement comme un concepteur de produits, ses équipes internes perçoivent-elles leur rôle de la même manière ? Ou se considèrent-elles plutôt comme des commerçants ? Cette distinction n’est pas anodine. Si les équipes internes ont une perception différente de leur rôle principal par rapport à l’identité de marque de l’entreprise, cela peut conduire à des incohérences dans l’expérience et les attentes des clients.

Il est donc essentiel que toutes les équipes d’une enseigne soient non seulement conscientes de l’utilité principale que l’entreprise cherche à offrir, mais qu’elles l’incarnent également dans leurs actions et interactions. Cet alignement interne est le fondement d’une expérience client réussie et cohérente, reflétant fidèlement la promesse de la marque.

Le mixte des utilités élémentaires a-t-il été défini et les investissements alignés ? :

                Optimisation Stratégique du Mix d’Utilités dans le Retail

La définition d’un mix équilibré d’utilités élémentaires est cruciale pour toute entreprise de retail. Cela soulève la question essentielle : comment les investissements sont-ils répartis entre l’utilité principale et les utilités secondaires ? Cette allocation des ressources doit être stratégiquement pensée pour soutenir efficacement l’identité et les objectifs de l’entreprise.

Prenons l’exemple d’une entreprise qui se positionne avant tout comme un distributeur. Il est impératif de déterminer la part d’investissement consacrée à des aspects clés tels que le choix, l’achat, le transport, le stockage et la vente du produit. En revanche les investissements sur la personnalisation client devra être relativisée. La répartition des investissements notamment dans la technologie doit refléter le mix choisi.

Il est essentiel que l’investissement dans l’activité principale demeure prépondérant. Lorsqu’une entreprise dévie trop de son cœur de métier en surinvestissant dans des activités secondaires, cela peut entraîner une dilution de sa proposition de valeur et une confusion chez les clients.

Une gestion stratégique et réfléchie du mix d’utilités permet à l’entreprise de rester fidèle à son identité de marque tout en explorant de manière équilibrée les opportunités complémentaires. Cette approche assure que les investissements sont en parfaite synergie avec la mission principale de l’entreprise, renforçant ainsi sa position sur le marché.

Les points critiques, qui entraine un arrêt de l’activité, sont-ils identifiés et traités pour éviter les pertes de chiffres ?

                Gestion des Points Critiques pour Prévenir les Arrêts d’Activité et les Pertes Financières

Il est essentiel pour toute entreprise d’identifier clairement les points critiques qui, en cas de défaillance, peuvent entraîner un arrêt de l’activité et, par conséquent, des pertes financières significatives. Cette identification doit être suivie d’une gestion proactive pour minimiser les risques et garantir la continuité des opérations.

Un exemple pertinent est le niveau de support pour des processus clés tels que l’identification en ligne des clients ou la gestion des moyens de paiement en magasin. Ces aspects sont vitaux pour le fonctionnement quotidien de l’entreprise et toute défaillance peut avoir des répercussions immédiates et graves sur le chiffre d’affaires.

Il est donc crucial de s’assurer que ces points critiques bénéficient non seulement d’une technologie fiable, mais aussi d’un support technique adéquat. Cela implique des systèmes de surveillance et de réaction rapide pour détecter et résoudre tout problème avant qu’il n’entraîne un arrêt de l’activité.

En anticipant et en gérant efficacement ces points critiques, les entreprises peuvent non seulement éviter les pertes financières, mais aussi renforcer la confiance et la satisfaction de leurs clients, en garantissant une expérience utilisateur fluide et sans interruption.

Les points de performances sont-ils identifiés et sont-ils au top de la technologie ?

                L’Alignement des Points de Performance avec la Technologie de Pointe

La question cruciale pour toute entreprise est de savoir si les points de performance clés sont non seulement bien identifiés, mais aussi s’ils tirent parti des dernières technologies. Investir dans des technologies de pointe représente un coût significatif, que ce soit en termes de mise à jour ou d’appropriation. Cet investissement doit stratégiquement être concentré sur les aspects qui amplifient le core business et la singularité de l’entreprise.

Pour les domaines moins critiques, l’adoption d’une technologie « good enough » peut s’avérer judicieuse. Cela permet de maintenir une efficacité opérationnelle sans alourdir inutilement l’entreprise avec des coûts technologiques élevés.

Il est essentiel d’éviter que les éléments critiques de l’entreprise ne reposent sur des systèmes obsolètes, parfois vieux de plus de 20 ans. La perte de maîtrise sur des algorithmes essentiels, comme la gestion des stocks ou du réassort dans la distribution, peut entraîner des conséquences désastreuses. Un système d’information agile et moderne est un élément clé pour maintenir une compétitivité et une performance optimales dans le paysage économique actuel.

Y a-t-il le bon niveau de granularité dans le SI ?

                Trouver le Juste Équilibre de Granularité dans le Système d’Information

La question de la granularité appropriée dans le système d’information est cruciale pour toute entreprise. Un système trop monolithique peut entraver l’agilité, rendant difficile la réponse rapide aux changements et aux besoins émergents. À l’inverse, un système excessivement fragmenté peut nuire à l’efficacité, créant des silos d’information et compliquant la gestion et l’intégration des données.

Le défi réside donc dans la recherche d’un équilibre optimal. Un mauvais découpage du système d’information peut, en effet, conduire à une double perte : celle de l’agilité et celle de l’efficacité. Un système bien structuré doit permettre à l’entreprise de s’adapter rapidement tout en maintenant une efficacité opérationnelle élevée.

Il est donc essentiel de concevoir un SI qui soit à la fois flexible et cohérent, capable de soutenir les opérations actuelles tout en étant adaptable aux exigences futures. Cela implique une évaluation continue et une révision du système d’information pour garantir qu’il reste en phase avec les objectifs stratégiques et les besoins opérationnels de l’entreprise.

A-t-on une synchronisation entre l’architecture du business model et l’architecture du SI ?

L’Essentielle Synchronisation entre le Business Model et le Système d’Information

La question de la synchronisation entre l’architecture du business model et celle du système d’information est fondamentale. Il est crucial que les priorités pour la performance métier, ainsi que les zones de risques, soient alignées entre les dirigeants, les équipes métier, et le département technologique. Cet alignement est un élément clé pour une gestion efficace des investissements, que ce soit pour déterminer ce qui doit être géré en interne ou sous-traité de manière satisfaisante (« good enough »).

Une telle synchronisation ouvre également la porte à l’identification de nouvelles opportunités, comme la possibilité de revendre en marque blanche des savoir-faire opérationnels techniques. Cela représente un potentiel de croissance et d’innovation considérable pour l’entreprise.

Cependant, si le cœur de l’activité de l’entreprise repose sur un système d’information obsolète ou mal maîtrisé par les équipes, alors l’entreprise fait face à un problème sérieux. Il est primordial que les investissements IT ne soient pas orientés vers des sujets périphériques ou simplement à la mode, mais qu’ils soutiennent réellement le cœur de métier de l’entreprise. Bien que cela puisse paraître évident, il est fréquent de voir des entreprises s’égarer dans cette voie. Une telle situation, loin d’être anecdotique, peut entraîner des conséquences importantes sur la compétitivité et la pérennité de l’entreprise.

Est-on capable de délivrer une nouvelle fonctionnalité en moins d’un mois ?

L’Agilité dans le Développement de Nouvelles Fonctionnalités : Un Mois, Est-ce Suffisant ?

Dans le contexte actuel où le marché évolue à une vitesse vertigineuse, la question se pose : une entreprise est-elle capable de déployer une nouvelle fonctionnalité en moins d’un mois ? Cette capacité de réaction rapide n’est pas seulement souhaitable, elle est devenue une nécessité impérieuse.

Même un délai d’un mois pour introduire une nouvelle fonctionnalité peut s’avérer trop long dans certaines circonstances. Les entreprises doivent donc s’interroger sur leur agilité et leur capacité à répondre rapidement aux besoins changeants du marché. La rapidité et l’efficacité avec lesquelles une fonctionnalité est développée et mise en œuvre peuvent faire la différence entre rester compétitif et se laisser distancer.

Dans ce contexte, il est crucial pour les entreprises d’examiner et d’optimiser leurs processus de développement et de déploiement. L’objectif est de réduire au maximum le temps nécessaire pour passer de l’idée à la réalisation, tout en maintenant une qualité élevée. La capacité à innover rapidement n’est pas seulement un avantage concurrentiel mais dans de nombreux secteurs, c’est une question de survie.

Les équipes de direction ont-elles validé les modèles donnés ?

L’Importance de la Validation des Modèles de Données par la Direction

Dans le monde du numérique, la validation des modèles de données par les équipes de direction est aussi cruciale que la visite des bâtiments en cours de construction l’était autrefois pour vérifier les fondations. Un modèle de données bien conçu doit refléter le business model de l’entreprise. Il est le socle sur lequel repose la structure entière de l’organisation et de ses opérations.

Si une entreprise ne maîtrise pas son modèle de donnés, elle construit en réalité sur du sable. Cette situation est comparable à l’édification d’un bâtiment sur des fondations instables. La situation peut être encore plus précaire si l’entreprise se repose sur des modèles de données standardisés fournis par des éditeurs. En adoptant ces modèles « prêts à l’emploi », l’entreprise risque de se noyer dans une moyenne, souvent dictée par des normes mondiales, qui peut ne pas correspondre à ses besoins spécifiques et uniques.

Pour éviter cela, les équipes de direction doivent non seulement comprendre, mais aussi approuver activement les modèles de données utilisés. Cette validation assure que le modèle de données est en parfait alignement avec la vision, la stratégie et les objectifs spécifiques de l’entreprise. En maîtrisant leur modèle de données, les entreprises peuvent s’assurer qu’elles construisent sur des fondations solides, adaptées à leur réalité unique, plutôt que sur des solutions génériques et inadaptées.

En cas de changement de stratégie, ou de tactique plus souvent, peut-on évaluer l’impact que cela aura sur le SI et par conséquent les besoins d’investissements et le niveau de risque ? 

Évaluer l’Impact des Changements Stratégiques sur le Système d’Information

Lorsqu’une entreprise envisage un changement de stratégie ou même de tactique, il est crucial d’évaluer son impact potentiel sur le système d’information, ainsi que sur les besoins en investissement et le niveau de risque associé. Trop souvent, les projets sont abordés sous l’angle des processus, négligeant les capacités sous-jacentes qui sont pourtant essentielles et ont une durée de vie plus longue.

Les capacités, contrairement aux processus, devraient être alignées avec les enjeux du business model. Cependant, beaucoup d’entreprises se retrouvent avec un système d’information construit autour de processus plutôt que de capacités. Cette approche rend difficile la projection de l’impact d’une modification stratégique ou tactique sur le système existant, menant souvent à l’ajout de solutions ad hoc – un autre « spaghetti » dans un plat déjà complexe.

Il est temps d’adopter une perspective différente : voir le système d’information à travers le prisme des capacités plutôt que des processus. Cette approche permet une meilleure compréhension de l’impact des changements stratégiques et facilite l’alignement du SI avec les objectifs à long terme de l’entreprise. En se focalisant sur les capacités, les entreprises peuvent évaluer plus précisément les besoins d’investissement et les niveaux de risque, évitant ainsi de complexifier inutilement leur SI et de s’éloigner de leurs objectifs stratégiques.

Il est difficile de répondre à ces questions, mais cela ne doit pas nous empêcher de se les poser plutôt que de continuer d’accumuler des couches, des pansements… De plus, il existe des méthodes abordables pour commencer d’aborder ces sujets et je peux vous en présenter. Une s’appelle notamment l’approche par la cartographie des activités métiers (Business Capabilty Mapping).  Mais, une fois encore, ces questions ne doivent pas être taboues et il y a urgence à se les poser si on ne veut pas accumuler une dette mortifère.

C’est très difficile, mais c’est indispensable

Et, concernant les nouvelles technologies que je maltraite en ce début de texte, je les adore, certaines sont de vraies « game changer ». Je suis juste déçu que souvent, elles fassent long feu par manque d’un backend ou d’une stratégie suffisamment nature.

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